Les membres du bureau du CIRPA-France ont signé l’appel pour un code de l’enfance lancé par quatre anciennes Défenseures des enfants et 300 personnalités.
Jean-Pierre Rosenczveig, ex-président du tribunal pour enfants de Bobigny, est à l’origine de cet « Appel des 300 pour un Code de l’enfance » avec Geneviève Avenard, Claire Brisset, Marie Derain de Vaucresson, Dominique Versini, anciennes défenseures des enfants, Josiane Bigot, présidente de la Themis, et Claude Roméo, ex-directeur départemental « Enfance-Famille » de Seine-Saint-Denis.
Au 22 juin, le nombre de signataires était de 700. Parmi ces personnes ayant signé, se trouvent des professionnels de la justice familiale, des avocates et avocats, des psychologues, des universitaires, des médecins, des fonctionnaires des services sociaux, etc. Se trouvent aussi des élu.e.s, des municipalités, de l’Assemblée Nationale ou du Sénat. Se trouvent, enfin, de nombreuses associations de promotion des droits de l’enfant, comme les sections françaises de l’Unicef ou de Eurocef.
Voici ce qui nous parait important dans l’appel pour un code de l’enfance.
L’enfant est un être doté de droits
Souvent l’enfant est vu comme un être à défendre et protéger. Mais il est plus que cela dans les pays comme la France qui ont signé la CIDE : l’enfant a des droits qui doivent être respectés.
Nous avons souligné que « les États parties respectent le droit de l’enfant séparé de ses deux parents ou de l’un d’eux d’entretenir régulièrement des relations personnelles et des contacts directs avec ses deux parents » (art 9-3 de la CIDE).
Nous avons rejoint Blandine Mallevaey qui souligne que « Les États parties garantissent à l’enfant qui est capable de discernement le droit d’exprimer librement son opinion sur toute question l’intéressant, les opinions de l’enfant étant dûment prises en considération eu égard à son âge et à son degré de maturité » (art 12 de la CIDE).
Ce sont les raisons principales pour lesquelles nous avons signé cet appel. Nous en avons d’autres, qui tracent des perspectives pour un code de l’Enfance.
Définir positivement le bien de l’enfant
Jean Zermatten, qui a été membre pendant de nombreuses années du Comité des droits de l’enfant des Nations Unies, traite la question de savoir ce qu’est le bien de l’enfant lors de son intervention à la conférence « Droits de l’enfant, résidence alternée, justice sociale » (Strasbourg, 2018).
Il remarque que le bien de l’enfant est souvent une définition en creux. Le bien, c’est le fait de ne pas être privé de prestations et d’accès à des droits, comme d’être protégé contre toutes sortes de malheurs. Cette manière de voir insiste sur la dépendance et la vulnérabilité de l’enfant.
Selon lui, peu de personnes définissent le bien comme un état positif.
Peu de professionnels, ou de parents séparés, mettent en priorité le fait de recevoir de l’affection, de la reconnaissance, des félicitations, du respect et de l’attention. Peu de gens mettent au centre de leurs décisions le fait d’assurer à l’enfant une relation stable avec son entourage et de vivre dans un environnement rassurant.
Surtout, insiste Jean Zermatten, trop peu de personnes envisagent le bien de l’enfant sous l’angle de sa participation. Il soutient le concept de l’enfant compétent.
Le code de l’enfance, selon nous, devrait mettre en avant ces aspects positifs qui découlent de la CIDE.
L’intérêt supérieur de l’enfant
Toujours selon Jean Zermatten, avec la CIDE, la notion d’intérêt supérieur de l’enfant dépasse la vision de l’enfant dépendant et vulnérable. L’enfant devient acteur de sa destinée. C’est une personne de droit qui a quelque chose à dire et qui doit être écoutée et entendue. Cet enfant est compétent. C’est un droit en soi, mais aussi une règle à l’aune de laquelle toute décision relative à un enfant doit être mesurée.
L’article 3 de la CIDE énonce que « Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale. »
Le code de l’enfance, selon nous, devrait mettre en avant cette notion d’enfant compétent. Sans oublier la notion de l’enfant dépendant et vulnérable.
Une obligation d’évaluation
Jean Zermatten note que cet article impose deux obligations concrètes aux États. D’une part, mettre en place une législation pour permettre le respect du droit de l’enfant, dans tous les domaines concernés. C’est une obligation d’évaluation. D’autre part, mettre en place les mécanismes pour pouvoir examiner/prendre en compte l’intérêt supérieur des enfants dans les décisions prises. C’est l’obligation de proposer des solutions positives pour l’enfant.
Nous retrouvons ici les objectifs cadres de ENOC, le réseau européen des personnes défenseures des enfants. Ces personnes prônent l’instauration de processus d’évaluation des politiques qui se concentrent sur la manière dont les droits de l’enfant peuvent être affectés par les décisions et les actions des gouvernements, des institutions et des autres acteurs dans les domaines de la loi, de la politique et de la pratique. Les impacts sont mesurés par rapport aux droits énoncés dans la CIDE et d’autres traités internationaux relatifs aux droits de l’homme.
En cela, le réseau ENOC reprend une préconisation du Comité des droits de l’enfant (CRC). Ce texte précise :
L’évaluation et la détermination de l’intérêt supérieur de l’enfant sont les deux stades de la marche à suivre pour prendre une décision. L’évaluation de l’intérêt supérieur consiste à examiner et mettre en balance l’ensemble des éléments à prendre en considération pour arrêter une décision concernant un enfant ou un groupe d’enfants dans une situation particulière. Elle est effectuée par l’autorité décisionnaire et ses collaborateurs − si possible une équipe pluridisciplinaire − et elle requiert la participation de l’enfant. L’expression «détermination de l’intérêt supérieur» désigne le processus formel, assorti de sauvegardes procédurales rigoureuses, ayant pour objet de déterminer l’intérêt supérieur de l’enfant sur la base de l’évaluation de l’intérêt supérieur à laquelle il a été procédé.
Observation générale no 14 (2013) sur le droit de l’enfant à ce que son intérêt supérieur soit une considération primordiale(art. 3, par. 1)
Le code de l’enfance, selon nous, devrait prendre en compte ces démarches d’évaluation des lois et des pratiques des politiques familiales et de l’enfance. Il s’agirait alors d’évaluer les effets des lois avant de les édicter. Ceci est déjà fait dans certains domaines au nom du principe de précaution. L’État ne devrait-il pas appliquer ce principe aux enfants?
L’intérêt supérieur de l’enfant, une coquille vide au service des adultes ?
Avec d’autres, Jean Zermatten regrette l’utilisation que certaines personnes font du principe d’intérêt supérieur de l’enfant. Il remarque que ce principe contient une bonne dose de subjectivité. Ainsi, ce concept pourrait vider de sens les droits de l’enfant. Il pourrait même agir à l’inverse, c’est-à-dire privilégier l’intérêt de l’État ou de la famille au détriment de l’enfant. Cette idée, elle aussi, reflète les travaux du Comité des droits de l’enfant (CRC).
Du fait de sa souplesse, le concept d’intérêt supérieur de l’enfant est adaptable à la situation d’un enfant particulier et à l’évolution des connaissances sur le développement de l’enfant. Cette souplesse laisse toutefois la porte ouverte à des manipulations; le concept d’intérêt supérieur de l’enfant a été utilisé abusivement: par des gouvernements et d’autres pouvoirs publics pour justifier des politiques racistes, par exemple; par des parents pour défendre leurs propres intérêts dans des différends relatifs à la garde; par des professionnels qui n’en ont cure et refusent d’évaluer l’intérêt supérieur de l’enfant en le qualifiant de non pertinent ou de dénué d’importance.
Observation générale no 14 (2013) sur le droit de l’enfant à ce que son intérêt supérieur soit une considération primordiale(art. 3, par. 1)
Dans cette perspective, le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant est convoqué, de manière spécifique, lorsqu’il faut justifier l’exception à un droit qui est reconnu à l’enfant. C’est notamment le cas du droit que l’on pourrait qualifier de droit « naturel » à entretenir des relations avec les parents. Lorsque l’enjeu est de couper ces relations (adoption par exemple) ou de les suspendre (placements, privations de liberté); la décision à prendre doit toujours respecter ce principe. Cela veut dire que dans ces cas de figure, l’intérêt individuel de l’enfant prime l’intérêt de la famille (à avoir des relations avec son enfant) ou de l’État (à assurer la stabilité des familles).
Cet équilibre entre intérêt de l’enfant ou de chaque parent, entre droit des individus et intérêt de l’État est primordial. Il se situe au cœur des réflexions que nous avons dans le Comité d’experts sur les droits et l’intérêt supérieur de l’enfant dans le cadre des procédures de séparation des parents ou de placement (CJ/ENF-ISE).
Cette question, selon nous, devrait se retrouver également au centre des réflexions sur le code de l’Enfance.
La confusion entre famille séparée et enfant séparé de sa famille
Ce qui me frappe personnellement, à partir des réflexions collectives que nous menons, c’est la confusion qui existe dans les manières de penser et d’agir de nombreuses personnes entre deux situations distinctes mais proches.
Lorsque les parents sont séparés, quand le couple se dissout, l’intérêt de l’enfant est de pouvoir maintenir des contacts réguliers et fréquents avec chaque parent. Cependant, les parents, en tant que couple parental, n’ont pas besoin de vivre en bonne entente, il suffit qu’ils s’accordent sur les aspects essentiels de la vie de l’enfant pour assurer son bien-être et son développement. C’est le but des plans parentaux.
Lorsque l’enfant est séparé de ses parents car ceux-ci lui sont nocifs, l’intérêt de l’enfant est surtout que le couple parental se reforme autour de bases plus saines afin que l’enfant puisse rejoindre sa famille. L’action publique sera tournée vers le soutien au couple parental et conjugal pour qu’il se reforme de manière plus pacifique.
Ces deux actions sont souvent conduites par les mêmes professionnels, dans le cas de l’ordonnance d’une AEMO par exemple. La surcharge de travail, la baisse du nombre d’emploi et le manque de formation spécifique se combinent avec le découragement ou la démotivation et font que des professionnel.le.s peuvent confondre la première situation avec la deuxième. Ceci au détriment des enfants des couples séparés qui se présentent devant la justice.
Ces enfants rencontrent alors le système judiciaire parce que leurs parents se séparent et sont en désaccord ou en conflit sur leur mode de résidence. Dans ce cas, ils ne sont pas parties prenantes dans le processus judiciaire mais néanmoins leur vie dépend des décisions de justice. Si le conflit des parents s’accroît, alors, l’État intervient pour les protéger et alors seulement les enfants sont partie prenante du procès et bénéficient d’un avocat.
Une première rencontre de cette sorte avec la justice pourrait être préjudiciable à l’élaboration de leur future citoyenneté. Comment ces enfants vont-ils considérer la justice, une fois adultes, si le système judiciaire n’a pas su prendre en considération leur parole et leur intérêt réel en tant qu’enfant ?
Transformer la justice familiale pour qu’elle puisse mieux accueillir les enfants (devenir child friendly) serait, selon nous, un point à intégrer dans le code de l’enfance.
Un processus en devenir
Les personnes organisant l’appel ont la volonté de mettre en place des équipes interdisciplinaires et interprofessionnelles pour explorer comment élaborer un Code de l’Enfance. Nous sommes volontaires pour contribuer à cette réflexion.
En attendant, pensez à signer cet appel !
Retour de ping : Appel des 700 pour un code de l’Enfance | Résidence Alternée
Retour de ping : Revue de presse du 24 juin 2021 – p@ternet
Les commentaires sont fermés.