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Quand la recherche produit ses fruits

La recherche produit ses fruits car l’arrêt de la Cour d’appel de Besançon – 2e ch. civ. (24 février 2022/n° 21/00526) fait mention à deux articles que deux membres fondateurs du CIRPA-France, Caroline Siffrein-Blanc et Fabien Bacro, ont co-produit.

Dans un précédent billet nous avons présenté un arrêt de la Cour d’appel de Besançon – 2e ch. civ. (24 février 2022/n° 21/00526). Un arrêt riche par sa motivation et sa structure. Dans cet arrêt, la résidence alternée constitue la modalité d’hébergement permettant de respecter les besoins d’une fillette de 8 ans.

La première partie de l’arrêt pose le principe selon la résidence alternée comme un principe sous réserve de préserver l’intérêt de l’enfant. La deuxième partie de l’arrêt, présentée dans ce second billet, confronte le principe au cas concret qui lui est soumis.

Le principe confronté à l’intérêt concret de l’enfant

Reprenant point par point les moyens de l’appelante, la Cour écarte chacun d’entre eux. Dans un premier temps, l’historique du conflit, dont la responsabilité incombe à chacun des parents, ayant conduit l’enfant à un vécu difficile (dont il n’est pas rapporté la preuve qu’il ait eu un retentissement sur son psychisme ainsi qu’il l’est allégué), ne peut constituer un motif pertinent d’interruption de la mesure critiquée. La Cour rappelle ensuite, que l’office du juge, « ne consiste pas à peser au trébuchet les avantages dont peuvent se recommander l’un et l’autre parent, dans un esprit de concurrence, mais à identifier le cadre harmonieux et pacifié dans lequel peuvent s’inscrire les relations de l’enfant avec chacun de ses parents ». Dès lors que chacune des parties atteste de leur capacité à prendre en charge l’enfant, le seul constat de conditions d’accueil supposées plus favorables pour l’enfant, ne saurait justifier l’éviction d’une résidence alternée.

Sur le changement de comportement de l’enfant supposé en lien avec la résidence alternée, la cour replace le débat sur les effets du conflit et de la mésentente parentale. « S’il ne peut être cependant exclu que la fillette, tiraillée entre deux pôles affectifs entre lesquels elle se refuse d’opérer un choix, manifeste son désarroi par des postures diverses allant de la tristesse jusqu’à la révolte et l’indocilité. Il ne peut toutefois en être déduit, de manière univoque et péremptoire, que la remise en axe de ces mauvais penchants serait effective dès la fin de la résidence alternée. La mésentente parentale lorsqu’elle place l’enfant en situation d’otage, dans un contexte de rivalité propice à l’exacerbation des tensions, peut être générateur de ce qu’il est convenu d’appeler un conflit de loyauté qui ne se résorbe pas pour autant lorsqu’il est mis un terme à l’alternance des lieux de vie. » (…)

Le rappel des obligations des parents

La mère est également rappelée à ses obligations puisque la cour précise « que la multiplication des consultations thérapeutiques dans l’unique dessein d’étayer des accusations contre l’autre parent peut revêtir un caractère fautif et caractériser une volonté de faire obstacle à l’exercice de ses droits (Cass. 1° Civ. 1° octobre 2020 n° 19-21.473). ».

C’est sur la question de l’âge de l’enfant que la Cour terminera sa motivation, en s’appuyant sur l’évolution des connaissances scientifiques sur la théorie de l’attachement : « L’objection est articulée sur une pétition de principe exclusive de toute expérience empirique. La thèse selon laquelle l’alternance domiciliaire serait dommageable pour un enfant de moins de 6 ans a été soutenue par une école de pensée américaine qui a conceptualisé et prôné la théorie de l’attachement laquelle est fondée sur l’idée que l’enfant ne peut être séparé de sa mère durant les premières années de son existence. Mais l’absolutisme de cette opinion a été battu en brèche par ceux-là même qui l’avaient énoncé. En effet, dans un article paru dans la revue « Attachment and Human Development » dans sa livraison du 11 janvier 2021, soixante-dix signataires adeptes de cette théorie ont conclu leur analyse en affirmant qu’aucune priorité ne devait être accordée à l’un des parents, à défaut de quoi pourraient être compromis le développement et le maintien des autres relations d’attachement de l’enfant (Article cité dans la chronique de M. Bruno Lehnisch et Mme Caroline Siffrein-Blanc par à l’AJ Famille 2021 p 403). Il s’en déduit que l’âge de l’enfant n’est pas intrinsèquement un obstacle à la résidence alternée. Ce n’est donc qu’en contemplation de données spécifiques et circonstanciées qu’il peut être mis un terme à la mesure. Or, en l’espèce, la résidence alternée a été mise en place il y a approximativement un an et il ne s’évince pas des pièces du dossier, telles qu’analysées dans les développements précédents, que les intérêts de la mineure en aient été compromis. »

Les recherches permettent en effet de considérer qu’il n’y a pas de consensus parmi les spécialistes concernant un « seuil d’âge » en deçà duquel la résidence alternée serait déconseillée. En revanche, consensus il y a, sur le fait qu’il est de l’intérêt de l’enfant de passer un temps suffisant avec ses parents pour maintenir des relations d’attachement. L’enfant, et ce dès son plus jeune âge, a besoin de temps avec l’adulte pour tisser un lien d’attachement sécure. (Attachment goes to court: child protection and custody issues, in Attachment and Human Development, 11 janvier 2021 en open access, cosigné par 70 spécialistes de l’attachement – pour la traduction française voir le billet de Fabien Bacro).

Se détacher d’une position dogmatique

En se détachant d’une position dogmatique autour d’un seuil d’âge interdisant la résidence alternée, les juges de Besançon invitent au changement et à une analyse casuistique de chaque situation. Par leur office, ils ont joué un rôle d’éducateur des parents, les enjoignant directement ou indirectement de replacer l’enfant au cœur de leur positionnement. Lorsque les deux parents offrent des capacités éducatives permettant de prendre en charge l’enfant, le respect de l’autre parent et de sa place en cette qualité constitue le respect de l’intérêt de l’enfant.

Parmi les textes utiles

B. Lehnisch, C. Siffrein-Blanc, « Résidence alternée, et intérêt de l’enfant regards croisés de magistrats », AJ. Famille, juillet aout 2021, p. 403 

C. Siffrein-Blanc, «  : études de décisions de Cour d’appel (Bordeaux, Lyon, Aix-en-Provence, Versailles », Dr. famille, juillet-aout 2019, dossier spécial, p. 15, n°28

Jeremy Antippas, « Liberté, égalité, parentalité Réflexion à partir de la proposition de loi n° 4557 du 12 octobre 2021 », D. 9 décembre 2021, p. 2188

B. Lehnisch et C. Siffrein-Blanc, « Séparation, temporalité des modalités de résidence :  Paroles de magistrats » in « Le temps, la séparation parentale, l’enfant et la justice : entre urgence et prudence » actes des journées d’études Nantes, Décembre 2021, PUR, 2022, à paraître)

Forslund, T., …, Bacro, F., …, & Duchinsky, R. (2022). La prise en compte des liens d’attachement au tribunal : protection de l’enfance et décisions de résidence dans les situations de séparation parentale. Devenir, 34(1), 13-93.

Forslund, T., …, Bacro, F., …, & Duchinsky, R. (2022). Attachment goes to court: Child protection and custody issues. Attachment and Human Development, 24(1), 1-52.