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L’intérêt de l’enfant passe au premier plan !

En matière d’assistance éducative, la Loi n° 2007-293 du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance, a marqué un premier tournant, en prenant appui notamment sur les principes de la CIDE afin de renforcer les droits et la prise en compte de l’intérêt de l’enfant. Ce dernier devient le critère de décision du juge des enfants (art. 375-1 du C. civ.). Si le système français de protection de l’enfance s’appuyait initialement sur une appréciation abstraite de l’intérêt de l’enfant, selon laquelle celui-ci devait être assuré, avant tout, au sein de sa famille, l’évolution récente des textes, notamment avec les lois du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant et du 7 février 2022 relative à la protection des enfants, a conduit à un changement de paradigme. L’accent est mis sur les besoins fondamentaux de l’enfant, et le respect de ses droits (art. L.112-3 et L.112-4 CASF). L’intérêt de l’enfant passe au premier plan!

L’objectif affiché est de garantir à cet enfant des conditions de vie stables et adaptées à ses besoins, quitte à atténuer le dogme du maintien des liens familiaux de l’enfant pris en charge par l’Aide sociale à l’enfance (ASE) avec ses parents (GOUTTENOIRE A. ET EUDIER F., « Une réforme impressionniste » JCP G. 2016 n ° 16, p. 479.).

La décision prise par la Cour de cassation, en date du 18 octobre 2023, en est une illustration (Cass. 1re civ 18 octobre 2023, n° 22-11.883).

Des enfants en danger et des parents demandeurs de contacts

A la suite d’actes de séquestration et de violence avec arme commis par des parents sur leur fille aînée, jeune majeure, et de violence sur leurs deux fils, le juge des enfants, suivi par les juges d’appel, avait ordonné le placement des enfants et octroyé aux parents un droit de visite médiatisé deux fois par mois. Au soutien du premier moyen au pourvoi, les parents reprochaient à la Cour d’appel une limitation de leur droit invoquant l’article 371-4 du code civil consacrant le droit de l’enfant d’entretenir des relations personnelles avec ses ascendants et de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.

A l’appui du pourvoi, le recours à l’article 371-4 du code civil pensé pour les ascendants autres que les parents, qui n’est pas spécifique aux situations d’assistance éducative et aux relations personnelles des parents avec leur enfant, apparait comme surprenant. Plus attendu aurait été l’article 375-7 du code civil alinéa 4 qui prévoit que « S’il a été nécessaire de confier l’enfant à une personne ou un établissement, ses parents conservent un droit de correspondance ainsi qu’un droit de visite et d’hébergement. Le juge en fixe les modalités et peut, si l’intérêt de l’enfant l’exige, décider que l’exercice de ces droits, ou de l’un d’eux, est provisoirement suspendu. Il peut également, par décision spécialement motivée, imposer que le droit de visite du ou des parents ne peut être exercé qu’en présence d’un tiers qu’il désigne lorsque l’enfant est confié à une personne ou qui est désigné par l’établissement ou le service à qui l’enfant est confié. ».

Quoiqu’il en soit la question aurait été la même : les juges ont-ils suffisamment motivé leur décision au regard de l’intérêt de l’enfant pour justifier des droits de visite médiatisés et une fréquence étalée ?

Une interprétation de l’intérêt de l’enfant à hauteur de ses sentiments exprimés

La Cour de cassation, en rejetant le pourvoi donne les clefs d’une motivation attendue pour que l’on puisse estimer que les juges du fond aient bien statué en fonction de l’intérêt de l’enfant. Dès lors, sont à prendre en considération le comportement de l’enfant à l’école, au sein de sa cellule d’accueil et avec autrui, son état de sécurité dans sa relation parentale ainsi que ses sentiments exprimés et son absence de demande. Pour la Cour de cassation, les juges du fond ont bien statué en considération de l’intérêt de l’enfant en relevant : l’absence de problème de comportement ce l’enfant, le fait qu’il investisse de manière très positive la sphère scolaire et entretienne de bonnes relations avec autrui, son absence de sécurité avec ses parents, ses craintes exprimées et sa posture de défiance à leur égard.

En outre, en relavant comme éléments décisifs dans la motivation des juges du fond, « la maturité et la constance du mineur (alors âgé de 13 ans à l’époque de l’arrêt d’appel), qui avait explicité les motifs pour lesquels il sollicitait le renouvellement de son placement », et l’absence de demande de changement, la Cour de cassation encourage indirectement, de manière fort utile, la prise compte de l’opinion de l’enfant. Elle répond ainsi aux attentes de la convention internationale des droits qui exige que les opinions des enfants soient prises en considération en fonction de son âge et de sa maturité (art. 12 de la CIDE).

Sans conteste, une telle décision doit être saluée dans la mesure où elle oriente les juges vers une interprétation de l’intérêt de l’enfant à hauteur de ses sentiments exprimés, tout en portant le poids de la responsabilité de la décision (Lire S. Callet, Le jour où j’ai choisi ma famille, Combat bouleversant d’une enfant placée, Dunod, 2020, voir également les vidéos des journées d’études du CIRPA à Aix en Provence, Le temps, crise familiale, enfant et justice, https://cirpa-france.fr/cirpa-2022_video-interventions/).

Les parents déménagent et demandent le dessaisissement

Le deuxième moyen du pourvoi était plus porté sur la procédure et la compétence du juge des enfants en cas de déménagement des parents. Si la cour de cassation admettait (Cass. 1re civ., 14 juin 1988, no 86-80.050) que le juge des enfants n’était pas tenu de se dessaisir en cas de changement de résidence des parents, la nouvelle rédaction de l’article 1181 du CPC désormais impérative impose un principe et une exception. En principe, le changement de résidence des parents doit emporter un dessaisissement du juge. Ce n’est que par une décision spécialement motivée que le juge peut maintenir sa compétence. En l’espèce, les parents ayant déménagé demandaient le dessaisissement de la juridiction des mineurs d’Amiens au profit de celle de Créteil et de l’aide sociale à l’enfance de la Somme au profit de celle du Val-de- Marne. Pour les parents, le législateur ayant fait prévaloir la proximité géographique entre le mineur et sa famille, les juges du fond en se bornant pour refuser de se dessaisir, à relever que l’enfant « avait tous ses repères dans la Somme », avaient violé les articles 1181, alinéa 2 du code de procédure civile et L. 228-4 du code de l’action sociale et des familles.

La Cour de cassation va rejeter une nouvelle fois le pourvoi, estimant la motivation des juges justifiée au nom de l’intérêt de l’enfant. S’il est indéniable que le législateur a voulu faire prévaloir une proximité familiale, la décision de dessaisissement peut entrainer de lourdes conséquences pour l’enfant et conduire à une nouvelle rupture de parcours par un changement de lieu d’accueil. Là était tout l’enjeu de l’affaire. Pour la cour de cassation, les juges du fond « après avoir constaté que le mineur, qui souhaitait le renouvellement de son placement dans une famille d’accueil au sein de laquelle il s’épanouissait », qu’il y avait tous ses repères et « qu’il exprimait un besoin de stabilité », en ont déduit que le dessaisissement demandé était contraire à l’intérêt de l’enfant.

Besoins et opinion de l’enfant au cœur de la décision

Là encore il faut se réjouir de l’usage fait de la notion d’intérêt de l’enfant. En plaçant les besoins fondamentaux et les droits de l’enfant d’exprimer son opinion au cœur de sa décision, comme motif légitime du maintien de la compétence du Juge des enfants, la Cour d’appel, soutenue par la cour de cassation, a fait de la sécurité et de la stabilité de l’enfant « the best interests » de ce dernier.