Bien qu’une majorité de familles s’adapte à la séparation conjugale, 10% des parents resteront « coincés » dans des conflits élevés et persistants. Ces conflits sont fréquemment nommés « conflits sévères de séparation ». L’intervention auprès des familles fait l’objet de recherches au Québec.
Les conflits sévères de séparation suscitent un intérêt grandissant dans les milieux de la pratique et scientifiques. Au-delà des coûts sociaux importants et des pressions sur le système de justice que ces situations génèrent, les préoccupations proviennent de leurs conséquences sur le bien-être et le développement des enfants. Les conséquences sur l’enfant peuvent être sévères au point où ces situations sont considérées comme une forme de mauvais traitements psychologiques et être prises en charge par les services de protection de l’enfance. De plus, ces situations préoccupent les professionnels des milieux judiciaires et psychosociaux qui constatent souvent leur impuissance à accompagner ces familles efficacement.
Quels sont les défis rencontrés par les intervenants qui travaillent auprès de cette clientèle ? Quelles sont les stratégies d’intervention qui sont préconisées aujourd’hui ? Prenons l’exemple du Québec
Quels sont les défis pour les intervenants ?
Intervenir auprès de ces familles est souvent présenté comme un défi de taille par les intervenants eux-mêmes1.
Certains parents peuvent multiplier les allégations de maltraitance l’un envers l’autre (le plus souvent fondées), allégations que les intervenants doivent évaluer afin d’en déterminer la véracité. Or, peu de stratégies ou de balises claires sont disponibles pour soutenir les intervenants aux prises avec de telles situations.
De plus, quelques études montrent que la violence conjugale et/ou familiale, les difficultés de contacts parents-enfant et des problèmes de santé mentale caractérisent souvent ces situations. Or, malgré le recoupement entre ces réalités et les conflits sévères de séparation, des distinctions importantes doivent être réalisées afin d’individualiser la réponse à apporter à chaque situation particulière.
En somme, les intervenants s’accordent à dire qu’il s’agit de dossiers qui mobilisent beaucoup de ressources, de temps et d’énergie. Les parents vivant des conflits sévères de séparation tendent en effet à solliciter les professionnels de façon répétée pour qu’ils se positionnent dans leurs désaccords ou pour discréditer l’autre parent. On note également des remises en question des compétences de l’intervenant susceptibles de faire naitre des sentiments d’incompétence et d’impuissance chez ce dernier.
Comment intervenir ?
Les résultats d’une revue systématique montrent que les approches traditionnelles de thérapie sont insuffisantes pour traiter efficacement les situations familiales les plus complexes2. De plus, plusieurs modes de résolution des conflits (par ex., la médiation familiale et les pratiques inspirées du droit collaboratif) sont souvent mis en échec, ou peu utilisés par les parents qui tendent à privilégier l’affrontement et les batailles judiciaires.
La difficulté d’évaluation de la situation, pour les professionnels, tient à ce que, dans certains cas, un seul parent alimente la bataille judiciaire (Clot-Grangeat et Bacro, 2023).
Aujourd’hui, les experts des domaines cliniques et scientifiques s’accordent à reconnaitre que les situations les plus à risque requièrent des interventions personnalisées et intensives, et qui reposent sur une coordination des services psychosociaux et du système judiciaire.
Zoom sur deux programmes socio-judiciaires développés au Québec
Dans la dernière décennie, deux programmes socio-judiciaires ont vu le jour au Québec : Le protocole de gestion psychojudiciaire Parentalité-Conflit-Résolution3 (PCR) et le programme Une coparentalité à construire4.
Le protocole Parentalité-Conflit-Résolution
Description. Ce protocole a été développé en collaboration avec la Cour Supérieure du district judiciaire de Québec. Il vise à apaiser les conflits, améliorer la communication parentale et protéger ou rétablir les liens parent-enfant.
Ingrédients clés. Il s’agit d’une intervention interdisciplinaire impliquant :
- Un seul juge saisi du dossier,
- L’engagement des parents et des avocats à travailler dans un esprit collaboratif,
- Un programme de groupe éducatif et introspectif pour les parents afin de réfléchir sur leur coparentalité, et,
- Une intervention systémique familiale spécialisée offerte par un psychothérapeute.
Évaluation. L’évaluation de ce protocole56 met en lumière plusieurs effets positifs pour les familles, notamment sur les plans de la coparentalité et de la reprise des contacts entre l’enfant et un de ses parents. Du point de vue des professionnels, le travail interdisciplinaire ressort comme un élément clé du protocole associé à son efficacité. Toutefois, il comporte des défis liés par exemple à la redéfinition des rôles respectifs, aux engagements déontologiques de chacun et à la transmission d’informations entre les acteurs.
Le programme Une coparentalité à construire
Description. Ce programme a été développé, en 2015, par la Cour du Québec et les directeurs de la protection de l’enfance dans les cas de signalements pour mauvais traitements psychologiques caractérisés par l’exposition de l’enfant à des conflits sévères entre les parents. L’objectif principal de ce programme est de concerter l’intervention des directeurs de la protection de l’enfance et le processus judiciaire dans les cas de conflits sévères de séparation afin d’amener les parents à établir une coparentalité fonctionnelle permettant d’assurer la sécurité et le développement de leur enfant.
Ingrédients clés. Ce programme repose sur plusieurs ingrédients clés :
- Il comporte à la fois un volet judiciaire et un volet psychosocial,
- Il assure la présence d’un juge formé et disponible sur demande,
- Il procure une intervention intensive neutre et confidentielle visant la coparentalité et,
- Il favorise la participation des jeunes et des deux parents aux interventions cliniques.
Évaluation. Dans le cadre d’une étude visant à documenter l’expérience de professionnels appliquant le présent programme7, ces derniers ont soulevé plusieurs avantages, notamment une amélioration des relations entre les parents et les professionnels, ainsi que le renforcement du pouvoir d’agir des parents, reconnus comme des aspects déterminants pouvant influencer leur engagement dans la démarche. Les résultats font aussi ressortir des défis, les principaux étant en lien avec les critères d’admissibilité au programme (notamment les difficultés d’intervenir dans des contextes de violence conjugale et auprès de parents qui présentent des problèmes de santé mentale) et la concertation des interventions cliniques et juridiques (notamment des tensions entre le respect de la confidentialité et le besoin d’échanger des informations jugées essentielles).
Références bibliographiques
1 Godbout, E., Saini, M. & Turbide, C. (2018). Les conflits sévères de séparation: le point de vue et les besoins des intervenants en protection de la jeunesse. Revue Québécoise de psychologie, 39(3). Dossier thématique sur la psychologie légale.
2 Templer, K., Matthewson, M., Haines, J., & Cox, G. (2017). Recommendations for best practice in response to parental alienation: Findings from a systematic review: Best practice responses to parental alienation. Journal of Family Therapy, 39(1), 103-122.
3 Cyr, F., Poitras, K., Godbout E., & Macé, C. (2017). Projet pilote sur la gestion des dossiers judiciaires à haut niveau de conflit. Rapport de recherche présenté au Ministère de la Justice du Québec.
4 Latour, K., Chalifoux, M.-F., & St-Arnaud, N. (2018). Programme d’intervenhttps://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/4146589?docref=tYKQy4gjnW9MGi0eWun8JAtion sociojudiciaire en conflits sévères de séparation : une coparentalité à construire. Centre intégré de santé et de services sociaux de la Montérégie-Est.
5 Cyr, F., Poitras, K., Godbout, É., & Baude, A. (2021). Parentalité-conflit-résolution: Un modèle d’intervention psychothérapeutique et interdisciplinaire .Revue québécoise de psychologie, 42(2), 145-166.
6 Cyr, F., Poitras, K., & Godbout, E. (2020). An Interdisciplinary Case management protocol for child resistance or refusal dynamics. Family Court Review, 58(2), 560-575.
7 Baude, A., Lamonde, G., Angele, R., Lachance, V., & St-Arnaud, N. (2021). Application d’un programme d’intervention socio-judiciaire en conflits sévères de séparation: qu’en pensent les professionnels? Revue québécoise de psychologie, 42(2), 167-189