Nous poursuivons notre série sur l’audition de l’enfant, dans le cadre de la préparation des journées d’étude de Nantes organisées les 2 et 3 décembre 2021 par le CIRPA-France.
Cette semaine nous nous intéressons à une étude de faisabilité destinée à soutenir les travaux du CJ/ENF-ISE, elle est en ligne sur le site du Conseil de l’Europe.
Le Conseil de l’Europe vise une plus grande unité entre les pratiques de ses États membres. Or, on constate des mises en œuvre diverses des instruments européens et internationaux qui protègent les droits des enfants dont les parents sont séparés. Un nouvel instrument pour promouvoir les droits des enfants dans les situations de séparation parentale est en cours d’élaboration par le Comité d’experts sur les droits et l’intérêt supérieur de l’enfant dans le cadre des procédures de séparation des parents ou de placement (CJ/ENF-ISE).
C’est dans ce contexte que Nuala Mole et Blandine Mallevaey proposent cette étude. Ce billet porte sur la parole de l’enfant et sa prise en compte dans les procédures judiciaires.
L’étude se réfère à plusieurs textes européens et internationaux.
La recommandation du Conseil de l’Europe, adoptée par le Comité des Ministres, en 2012, s’inscrit dans la lignée de l’article 12 de la CIDE.
12-1- Les Etats parties garantissent à l’enfant qui est capable de discernement le droit d’exprimer librement son opinion sur toute question l’intéressant, les opinions de l’enfant étant dûment prises en considération eu égard à son âge et à son degré de maturité.
12-2. A cette fin, on donnera notamment à l’enfant la possibilité d’être entendu dans toute procédure judiciaire ou administrative l’intéressant, soit directement, soit par l’intermédiaire d’un représentant ou d’une organisation appropriée, de façon compatible avec les règles de procédure de la législation nationale.
Le Comité des ministres se dit convaincu que :
– le droit d’être entendu et pris au sérieux est fondamental pour la dignité humaine et le développement sain de chaque enfant et jeune ;
– écouter les enfants et les jeunes, et accorder le poids voulu à leurs opinions eu égard à leur âge et à leur degré de maturité est indispensable pour une mise en œuvre effective de leur droit à ce que leur intérêt supérieur prime sur toute autre considération dans toutes les affaires les concernant et pour qu’ils soient protégés de toute violence, abus, négligence et maltraitance
Il recommande aux gouvernements des Etats membres :
– de veiller à ce que tous les enfants et les jeunes puissent exercer leur droit d’être entendu, d’être pris au sérieux et de participer à la prise de décisions dans tous les domaines les concernant, leurs opinions étant dûment prises en considération eu égard à leur âge et à leur degré de maturité ;
Prendre en compte la parole des jeunes mineurs
Pour le comité des ministres, il n’y a pas de limite d’âge pour prendre en compte la parole de l’enfant. En outre, il convient de respecter le développement de l’enfant, et notamment celui des capacités des adolescents, le jeune de moins de 18 ans.
Tous les enfants et les jeunes, en âge préscolaire, scolaire ou ayant quitté le système éducatif à plein temps, ont le droit d’être entendus sur toutes les questions les concernant, leurs opinions étant dûment prises en considération eu égard à leur âge et à leur degré de maturité. (Partie II – Principes)
La participation des enfants s’accompagne de leur protection.
Les enfants et les jeunes exerçant leur droit d’exprimer librement leur opinion doivent être protégés contre tout préjudice, y compris l’intimidation, les représailles, la victimisation et la violation de leur droit à la vie privée. (Partie II – Principes)
Cette recommandation concerne la participation des mineurs au sens large. Elle inclut explicitement les droits de l’enfant dans le cadre de la séparation de ses parents.
S’assurer que des garanties sont en place pour les enfants et les jeunes particulièrement vulnérables aux violations de leurs droits, notamment ceux qui sont séparés de leurs parents. (Partie III – Mesures)
Pour rappel, dans son article 9-1, la CNUDE inclut les enfants de parents séparés dans la catégorie des enfants séparés de leurs parents :
Les États parties veillent à ce que l’enfant ne soit pas séparé de ses parents contre leur gré, à moins que les autorités compétentes ne décident, sous réserve de révision judiciaire et conformément aux lois et procédures applicables, que cette séparation est nécessaire dans l’intérêt supérieur de l’enfant. Une décision en ce sens peut être nécessaire dans certains cas particuliers, par exemple lorsque les parents maltraitent ou négligent l’enfant, ou lorsqu’ils vivent séparément et qu’une décision doit être prise au sujet du lieu de résidence de l’enfant.
L’étude de faisabilité s’inscrit dans ces textes et règlements transnationaux pour proposer des pistes de travail.
Être capable de se forger une opinion et avoir la possibilité de l’exprimer
L’étude de faisabilité est co-écrite par une anglophone et une francophone ; ce qui éclaire la lecture des textes internationaux. Ces rédactrices notent ainsi que la version en anglais de l’article 12 de la CIDE parle d’un enfant « capable de se forger une opinion » et non pas capable de discernement ou ayant un discernement suffisant.
Être capable de se forger une opinion ne veut pas dire être capable de l’exprimer facilement verbalement ou par écrit. De fait, l’article 21 du règlement Bruxelles II ter du Conseil de l’Union Européenne demande aux États membres de donner à l’enfant une possibilité « réelle et effective » d’exprimer son opinion.
Les deux rédactrices insistent sur les méthodes à mettre en avant pour faciliter l’expression de l’opinion de l’enfant dans les situations de séparation des parents.
A la suite du Comité des droits de l’enfant des Nation Unies, elles montrent que cette audition de l’enfant constitue la manière de le faire participer à l’évaluation de ce qui sera dans son meilleur intérêt (la version anglaise de la CIDE parlant de best interests of the child).
A plusieurs reprises, le Comité des droits de l’enfant a mis en évidence les liens étroits entre les articles 3 et 12 de la Convention, l’expression de l’enfant devant lui permettre de participer à la détermination de son intérêt supérieur pour que puisse ensuite être prise la décision la plus conforme à son intérêt. En 2009, le Comité a considéré que les articles 3 et 12 de la Convention étaient complémentaires, le premier fixant pour objectif de rechercher l’intérêt supérieur de l’enfant, le second indiquant la méthode à suivre pour atteindre ce but, ce dont il résulte que l’application de l’article 3 nécessite que le droit d’expression de l’enfant soit respecté et ainsi que l’intérêt supérieur de l’enfant soit établi en consultation avec ce dernier. En 2013, le Comité a de nouveau insisté sur les liens inextricables entre les deux articles, rappelant que l’évaluation de l’intérêt supérieur de l’enfant suppose le respect de son droit d’exprimer librement ses opinions et de voir celles-ci dûment prises en considération. Ainsi, le Comité considère que les décisions qui ne tiennent pas compte de l’opinion de l’enfant ne respectent pas le principe selon lequel l’enfant doit avoir la possibilité d’influer sur la détermination de son intérêt supérieur. (§95 p.30)
En 2016, le Comité a ajouté que les États parties doivent veiller à accorder le poids voulu à l’opinion de l’adolescent à mesure qu’il gagne en capacité de compréhension et en maturité.
Jean Zermatten – membre, puis Président du Comité ONU des droits de l’enfant (2005 – 2013) – propose une synthèse de ces questions.
Le droit de s’exprimer librement, sans pression
Les rédactrices mettent l’accent sur la sécurité dont l’enfant doit bénéficier pour s’exprimer. Les professionnels ont à s’assurer que la parole n’est pas influencée par autrui, d’une part. Et d’autre part, les méthodes d’audition devraient faire en sorte que l’enfant n’est pas obligé de répéter plusieurs fois son opinion. La situation de séparation des parents, avec ou sans conflit, est souvent un événement préjudiciable sur lequel l’enfant ne s’exprime pas sans difficultés d’ordres divers.
Les États parties doivent prendre toutes les mesures nécessaires pour que le droit d’être entendu soit exercé en assurant la pleine protection de l’enfant. Le droit d’exprimer ces opinions « librement » signifie que les enfants peuvent exprimer leurs opinions sans pression et peuvent choisir d’exercer ou non leur droit d’être entendu. […] Le Comité reconnaît que « l’audition » d’un enfant est un processus difficile qui peut avoir un impact traumatique sur l’enfant et que les États parties doivent garantir des conditions d’expression qui tiennent compte de la situation individuelle et sociale de l’enfant et un environnement dans lequel les enfants se sentent respectés et en sécurité lorsqu’ils expriment librement leurs opinions. Par conséquent, le Comité souligne également qu’un enfant ne devrait pas être interrogé plus souvent que nécessaire, en particulier lorsque des événements préjudiciables sont explorés. (§ 96 p.31)
En conséquence, les deux rédactrices mettent en avant le droit de l’enfant à s’exprimer sur ce qui impacte sa vie dans la situation de séparation parentale. Cette expression n’a de sens que si les personnes qui la recueillent tiennent « dument » compte des opinions de l’enfant.
Le droit de l’enfant de participer aux décisions prises au moment ou à la suite de la séparation de ses parents suppose plus particulièrement, d’une part, que les opinions de l’enfant soient recueillies et, d’autre part, que les personnes ou autorités en charge de ces décisions tiennent dûment compte des opinions exprimées par l’enfant. (Encart p. 99)
Le droit de s’exprimer sur sa résidence et aussi sur sa santé
Les deux rédactrices préconisent d’entendre l’enfant en ce qui concerne son lieu de résidence. Elles ajoutent d’autres sujets et, notamment, ceux qui concernent la santé de l’enfant, car les décisions à prendre sont, ici aussi, d’importance capitale pour son avenir.
Il est nécessaire de consulter et d’entendre l’enfant au sujet de toutes les questions concernant la détermination ou la modification de son lieu de résidence. (§280 p. 73)
La participation de l’enfant dans les décisions prises au sujet de sa santé est d’autant plus importante compte tenu du caractère intime de leur mise en œuvre et du fait qu’elles sont susceptibles d’influer sur son avenir. Les parents eux-mêmes peuvent aussi être insuffisamment informés et ne pas être associés au processus décisionnel, notamment lorsqu’ils sont séparés. (§306 p. 78)
Orienter la décision de justice vers le maintien des relations aux parents
Ces questions d’audition des enfants et des jeunes mineurs soulèvent des difficultés complexes. En s’appuyant sur l’article 9-3 de la CIDE et sur l’article 24 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, les deux rédactrices fournissent une ligne directrice pour faciliter la prise de décision des professionnels de la justice familiale : maintenir des relations et des contacts personnels avec chacun de ses parents.
Dans le contexte des séparations parentales, il y a lieu de porter une attention particulière au respect du droit de l’enfant de maintenir des relations et des contacts personnels avec chacun de ses parents. Seul l’intérêt supérieur de l’enfant peut faire obstacle à ce droit, ce qui devrait nécessiter une démonstration et une motivation rigoureuses de la part de l’autorité décisionnaire. (Encart p. 35)
Ces questions et d’autres seront abordées avec Blandine Mallevaey, l’une des deux rédactrices de l’étude, lors des journées d’étude de Nantes organisées les 2 et 3 décembre 2021 par le CIRPA-France. Nous avions déjà rencontré Blandine Mallevaey lors des Rencontres sur l’évolution du droit de la famille.
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