Aller au contenu

Audition de l’enfant : guide de bonnes pratiques professionnelles

L’audition de l’enfant, surtout des jeunes enfants, nécessite des pratiques professionnelles adaptées. Un groupe de chercheurs et de professionnels du Portugal, dans le cadre d’un projet financé par la commission européenne, publient un intéressant guide de bonnes pratiques.

Le Projet 12 a pour objectif principal d’aider les enfants et les jeunes à mieux connaître leurs droits. Le projet accorde une attention particulière à leur droit d’être entendus et d’exprimer leur opinion. Il se réfère à l’article 12 de la Convention relative aux droits de l’enfant. Il propose des ressources (en anglais) adaptées selon les enfants, grosso modo selon l’âge de la maternelle, du primaire et du collège.

Le projet publie aussi un guide de bonnes pratiques pour les adultes en charge de l’audition de l’enfant.

Le Projet 12 prolonge le guide pour une justice adaptée aux enfants adoptée par le Conseil de l’Europe en 2010, et la Convention des Nations Unies sur les droits de l’enfant, en particulier l’article 12 (droit à la participation). Une justice adaptée aux enfants implique la formation des personnes en charge de l’audition de l’enfant. Il s’agit de préparer l’audition, de la conduire et de la conclure.

Permettre à l’enfant d’anticiper l’audition

Il est important de préparer les enfants et les jeunes avant l’audition. Pour ce faire, le projet propose des vidéos pour les enfants et des questions pour les adultes. La préparation du cadre de l’audition joue également un rôle important.

Une série de vidéos explique ce qu’est une procédure d’audition dans différents contextes et fournit des informations concrètes sur les droits des enfants, sur les personnes qui travaillent dans un tribunal, sur le déroulement de l’audition. Toutes ces vidéos ont un format adapté à l’âge des enfants (3-6 ans; 7-10 ans; 11-14 ans).

En parallèle, le projet propose une liste des questions que les enfants se posent fréquemment.

  • Qu’est-ce qu’une procédure d’audition ?
  • Où vais-je être entendu ?
  • Qui va parler avec moi ?
  • Puis-je apporter un jouet ?
  • Et si je ne connais pas les réponses ?
  • Et si j’ai envie de pleurer ou si je suis très angoissé, que peut-il se passer ?

L’idéal est de disposer d’une salle d’attente calme et d’une salle d’audience. La salle d’audience doit être un endroit calme, chaleureux, privé et sécurisant.

Les juges et les avocats peuvent choisir d’utiliser ou non leur tenue professionnelle. Certains enfants aiment ce costume, tandis que, chez d’autres, il intimide ou fait peur. Pour minimiser ces éventuels effets négatifs, avant l’audience, un adulte peut expliquer à l’enfant que, comme les policiers ou les pompiers, les juges et les avocats utilisent un costume spécifique.

Savoir conduire un entretien avec un enfant

Un entretien d’audition peut se structurer en trois parties : lancement, cœur et conclusion de l’audition.

Pour lancer l’entretien, il est essentiel d’expliquer, d’abord, la fonction des personnes qui sont dans la salle et le but de l’entretien. Ensuite, mieux vaut évaluer et clarifier les attentes et représentations de l’enfant. En effet, souvent l’enfant ou l’adolescent pense que la décision ne dépend que de lui/elle.

Le document propose la métaphore du puzzle qui paraît bien appropriée.

Imaginons que je fais un puzzle. Chaque personne qui est ici a des informations importantes sur la situation et chacune partage avec moi ses informations. Toi, tu as de bonnes informations et tu es une pièce importante du puzzle. C’est avec toutes les pièces du puzzle, quand je vois la situation complète, que je peux prendre ma décision.

Ensuite, la personne en charge de l’audition explique les règles de l’entretien. Mieux vaut rappeler que :

  • l’enfant ne doit pas hésiter à dire qu’il/elle ne comprend pas la question
  • il/elle a le droit de ne pas répondre
  • il/elle peut poser des questions

Ces règles peuvent paraître évidentes aux professionnels de la justice mais elles sont souvent à l’inverse de ce que vivent les enfants dans le monde scolaire. Mieux vaut donc les rappeler.

Installer la confiance

Les règles de confidentialité représentent aussi un obstacle à la qualité de l’entretien et peuvent réduire la confiance de l’enfant. Il faudrait préciser, quand cela est adapté, si tout ce qui est dit sera rapporté aux parties, donc aux parents. Dans le cas inverse, préciser qu’un résumé des points retenus par la justice sera transmis. Il faudrait alors, vraisemblablement, veiller à ce que l’enfant puisse savoir, en fin d’entretien, ce qui sera transmis et dans quelle limite.

Le guide n’est pas très explicite sur la question de la confidentialité. C’est pourtant un point sensible puisqu’il faut trouver un équilibre entre informer l’enfant de ses droits et maintenir la spontanéité de ses déclarations.

Concernant le déroulement de l’entretien, le guide est très complet sur la manière de poser les questions. Ici, nous ne présentons que la liste des questions à éviter.

  • Mieux vaut éviter les questions trop limitées ou trop fermées qui ne laissent que peu d’alternatives de réponses.
  • Il en est de même pour les questions qui adoptent la forme négative, trop ambiguë pour les enfants.
  • Les questions qui contiennent la réponse sont interdites, bien évidemment.
  • Il faudrait aussi éviter les questions commençant par « pourquoi » car souvent l’enfant pense qu’il/elle doit se justifier car il/elle a fait une erreur.

Les questions les plus efficaces portent sur le déroulement de l’action ; en bref, celles qui commencent par qui, quoi, comment, où.

Le guide propose également une palette de techniques de communication. Ces techniques construisent une relation plus positive entre l’enfant et l’adulte en charge de l’entretien. Elles assurent aussi que l’enfant colle à la réalité de la situation.

A la fin de l’entretien, il serait important de donner à l’enfant la possibilité d’ajouter un point important ou de poser une nouvelle question. Mieux vaut aussi féliciter l’enfant pour sa participation.

Des facteurs qui modifient la qualité de l’audition de l’enfant

Le guide détaille des pratiques adaptées à l’âge des enfants, à leur développement et à leur maturité. Pour chaque âge, un tableau présente l’état du développement cognitif, ce qui est facile pour l’enfant et ce qui sera plus difficile. Le guide propose des solutions pour la personne chargée de l’entretien.

L’adulte qui conduit l’entretien doit également se méfier de ses propres fonctionnements et biais cognitifs. L’attention devrait porter, notamment, sur le moment et la manière de prendre une décision ; y compris pour décider quelle question poser.

Le fonctionnement cognitif des adultes s’appuie sur des processus qui peuvent être vus comme des raccourcis automatiques basés sur un ensemble limité d’indices. Ils facilitent la prise de décision rapide, en particulier lorsqu’il y a une pression pour prendre une décision dans un court laps de temps ; y compris au cours d’un entretien d’audition.

Ce fonctionnement rapide a une grande utilité, dans les situations générales du quotidien. En effet, ces espèces de raccourcis nous permettent de tirer des conclusions et de combler les lacunes en matière d’information. Ils découlent de l’apprentissage formel et de l’expérience.

La prise de décision altérée par les idées préalables

Ce fonctionnement cognitif rapide et pratique comporte des biais qui peuvent en fausser la pertinence. C’est notamment le cas dans les situations particulières devant être évaluées au cas par cas. Deux biais agissent souvent au détriment de la bonne prise de décision :

  • Biais de confirmation : prêter une attention privilégiée, voire exclusive, aux informations qui sont cohérentes avec ses propres croyances, attentes ou hypothèses antérieures, préalables à l’audition.
  • Biais de corrélations illusoires : considérer qu’il existe une relation entre des variables alors que cette relation n’existe pas. Un exemple courant est : « si quelqu’un pleure lors d’un témoignage, cela signifie qu’il dit la vérité« , ou « si un enfant ne pleure pas lorsqu’il/elle dans une situation de violence domestique présumée, cela signifie que la violence n’a pas eu lieu« .

Lorsqu’il s’agit de prendre une décision, certaines expériences ou situations passées sont facilement disponibles dans notre mémoire. Par conséquent, nous avons tendance à prendre des décisions en fonction des résultats de ces exemples passés qui apparaissent plus courants donc plus fiables. Cependant, la situation en cours de jugement peut être plus proche d’autres exemples moins fréquents et donc moins disponibles en mémoire.

La nécessaire formation à l’audition de l’enfant

La prise de conscience de ces fonctionnements et biais cognitifs est une étape importante pour éviter leurs effets négatifs au cours du processus de prise de décision impliquant les enfants et les jeunes. Plus positivement, savoir conduire un entretien, et notamment un entretien semi-structuré, est un outil utile pour susciter et respecter la parole de l’enfant.

Ces compétences professionnelles sont plutôt pointues, souvent contre-intuitives. Elles nécessitent, certes, une formation initiale. Elles nécessitent, surtout, un accompagnement en formation continue car c’est aussi dans l’expérience qu’elles se construisent.

On rejoint ainsi ce que nous avons dit de l’approche-médiation. Les deux méthodes sont vraisemblablement complémentaires dans l’exercice professionnel de plusieurs acteurs de la justice familiale.

A quand une traduction française de cet important matériel ?

Un séminaire en ligne pour en parler

Le Comité de la Société Civile sur les Droits de l’Enfant, de la Conférence des ONG internationales du Conseil de l’Europe, organise un séminaire sur la question de l’audition de l’enfant, avec les chercheuses du Projeto-12. L’occasion de discuter de ces questions avec une approche internationale.