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Parent responsable de l’escalade du conflit, attention à la perte de l’exercice de l’autorité parentale !

Cass. 1ère civ. 16 novembre 2022, 21-15.002, Inédit

Selon la Convention internationale des droits de l’enfant, l’article 18 prévoit que « Les États parties s’emploient de leur mieux à assurer la reconnaissance du principe selon lequel les deux parents ont une responsabilité commune pour ce qui est d’élever l’enfant et d’assurer son développement, la responsabilité d’élever l’enfant et d’assurer son développement incombe premier chef aux parents (…). Ceux-ci doivent être guidés avant tout par l’intérêt supérieur de l’enfant. ». L’autorité parentale loin d’être un droit absolu est désormais un droit fonction des intérêts de l’enfant. En droit interne, à l’article 371-1 du code civil pose parfaitement ces principes en affirmant que « l’autorité parentale est un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant ».

L’arrêt rendu le 16 novembre 2022 par la Cour de cassation apporte un éclairage intéressant, de cette interdépendance entre exercice de l’autorité parentale et le respect de l’intérêt de l’enfant, dans le cadre malheureusement classique des conflits parentaux.

En l’espèce, suite à un conflit parental exacerbé par la décision strictement personnelle de la mère de partir s’installer en Allemagne, la résidence de l’enfant avait été fixé chez le père. Alors que les parents exerçaient en commun l’autorité parentale, la mère avait « multiplié les procédures judiciaires et les démarches non concertées à propos de la scolarisation de l’enfant », avait « à plusieurs reprises, retardé unilatéralement le retour de l’enfant auprès de son père, (..) n’avait eu de cesse de [le] dénigrer, n’hésitant pas à alerter sans raison sérieuse les forces de l’ordre et le procureur de la République ; l’ensemble des démarches ayant conduit la mère à désigner l’enfant comme « l’enfant de la guerre ». En appel, les juges du fond retiennent que « l’escalade du conflit parental, alimenté par la mère » avait placé l’enfant dans un état d’insécurité permanente et un conflit de loyauté tel que son intérêt commandait de prononcer d’un exercice unilatéral. Formant un pourvoi, la mère faisait notamment grief à l’arrêt d’avoir privé sa décision de base légale au regard des articles 372, 373-2-1 du code civil et 3 § 1er de la Convention relative aux droits de l’enfant du 20 novembre 1989 en prononçant l’exercice unilatéral sans constater l’existence de motifs graves contraires à l’intérêt primordial de l’enfant commun.

Motifs graves ou intérêt de l’enfant ?

L’exercice unilatéral étant l’exception toute la question était de savoir si les juges du fond avaient caractérisé des motifs graves dans l’intérêt de l’enfant pour prendre une telle mesure. En effet, selon la jurisprudence de la CEDH, l’intérêt de l’enfant commande de préserver les droits parentaux et les liens familiaux et seules des circonstances exceptionnelles peuvent conduire à une rupture du lien familial.

Or, selon le pourvoi en se bornant à se fonder, sur le choix de la mère de s’installer en Allemagne, sur ses remises en cause répétées de la résidence de l’enfant chez son père, sur ses retards apportés dans le retour de l’enfant ou encore sur les difficultés rencontrées par les parents dans le cadre de la scolarité de et sur le dénigrement de Mme vis-à-vis de M. auprès de tiers, aucune de ces circonstances n’étaient de nature à caractériser un motif grave justifiant de déroger au principe légal de l’exercice conjoint de l’autorité parentale.

Le raisonnement sera écarté et le pourvoi rejeté au visa de l’article 373-2-1 du code civil. La Cour prend ainsi le soin de rappeler que « si l’intérêt de l’enfant le commande, le juge peut confier l’exercice de l’autorité parentale à l’un des deux parents ».

Pour la Cour de cassation, la cour d’appel avait souverainement estimé « que ces demandes incessantes avaient créé pour (l’enfant) un état d’insécurité permanente », qu’ayant retenu qu’était établie une escalade dans le conflit parental, alimenté par la mère, au détriment du père (…), elle avait « fait ressortir l’existence de motifs graves tenant à l’intérêt de l’enfant et justifiant que l’exercice de l’autorité parentale soit confié au père ».

S’appuyant sur un ensemble de pièces, la cour prend soin toutefois de faire ressortir plusieurs éléments pour établir les motifs graves, justifiant une atteinte à l’intérêt de l’enfant. Elle attribue la responsabilité du conflit exclusivement à l’attitude de la mère, constate l’absence de conscience du parent et caractérise le lien de causalité entre escalade du conflit et insécurité de l’enfant.

Rôle essentiel du parent : préserver l’enfant du conflit

Une telle décision doit être mise en lumière. En plaçant au cœur du raisonnement l’intérêt supérieur de l’enfant, les juges rappellent l’essentiel du rôle parental : l’enfant ne doit être en aucun cas un enjeu ou un instrument pour alimenter le conflit !

En effet, outre le fait que de tels comportements manifestent une inaptitude à respecter les droits de l’autre parent (art. 373-2-11 3° c. civ.), ils révèlent surtout une inaptitude à répondre au besoin de sécurité et de protection de l’enfant et justifient donc l’éviction de toute responsabilité sur ce dernier. Décision, tout à la fois, sanction et protection, elle conduit à mettre en exergue que les droits des parents ne prévalent pas les droits de l’enfant et que seul l’intérêt supérieur de l’enfant doit primer. Comme l’a récemment rappelé la CEDH, garantir à l’enfant une évolution dans un environnement sain relève de son intérêt. Dès lors, « l’article 8 ne saurait autoriser un parent à prendre des mesures préjudiciables à la santé et à son développement » (§ 107). (CEDH, 10 nov. 2022, n° 25426/20, I.M et autres c/ Italie, Dr. Fam., 2023, n°1, com. n°3, C. Siffrein-Blanc). Or, les recherches en psychologie convergent pour affirmer que les conflits lorsqu’ils sont graves et chroniques ont des effets néfastes, voir dévastateurs sur l’enfant (V. F. Bacro ; « Attachment goes to court : child protection and custody issues » in Attachment and Human Development, 11 janv. 2021 en open access, cosigné par 70 spécialistes de l’attachement, devenir, 2022, n°1 Volume 43).

En prononçant un exercice unilatéral de l’autorité parentale, lorsque le parent est responsable de l’escalade du conflit sans en mesurer l’impact sur l’enfant, les juges du fond approuvée par la Cour de cassation, font enfin le lien entre conflit aggravé et intérêt de l’enfant.

Mais alors quid des situations où les deux parents alimentent ensemble l’escalade du conflit ?