Nous poursuivons les billets sur le thème du temps dans les séparations parentales, dans le cadre de la préparation des journées d’étude de Nantes. Dans ce billet, Michel Grangeat traite du temps dans les procédures judiciaires avec un point de vue européen.
Michel Grangeat est représentant de la société civile au Comité d’experts sur les droits et l’intérêt supérieur de l’enfant dans le cadre des procédures de séparation des parents ou de placement (CJ/ENF-ISE). Pour lui, ce comité du Conseil de l’Europe s’attache à ce que cette question du temps ne soit pas esquivée ; elle se retrouve explicitement, par exemple, dans l’étude de faisabilité proposée au CJ/ENF-ISE.
Cette question sera traitée en deux volets lors des journées de Nantes : a/ les textes internationaux servant de référence aux législations et pratiques européennes ; b/ la situation de la loi et des pratiques dans les 47 États membres du conseil de l’Europe. La fin tirera des implications pour le cas français.
Ce billet ne traite que du premier volet : Le temps dans les textes internationaux sur les droits de l’enfant
La convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant (CNUDE) ainsi que les observations générales produites par le comité des droits de l’enfant des Nations Unies (UNCRC) représentent la référence centrale des lois nationales en Europe. Ce comité UNCRC est composé de 18 experts indépendants chargés de surveiller la mise en œuvre de la Convention relative aux droits de l’enfant par ses États parties et d’en éclairer des points particuliers.
Les lois nationales et les documents réglementaires européens incluent, de manière plus ou moins complète selon les États, ces deux types de textes. Quatre aspects caractérisent le temps dans ces textes : l’âge, le développement, la fréquence et sa perception par l’enfant.
Le temps selon l’âge et la maturité
L’article 1 de la CNUDE prend en considération le temps sous l’angle de l’âge afin de délimiter ce que l’on entend par « enfant ». En fait, quand il est écrit « enfant », il s’agit d’un mineur. Il faut donc garder en tête que ces textes concernent, à la fois, des nourrissons, de jeunes enfants, des adolescents et de grands adolescents, près de l’entrée dans l’âge adulte.
Art 1 : Au sens de la présente Convention, un enfant s’entend de tout être humain âgé de moins de dix-huit ans, sauf si la majorité est atteinte plus tôt en vertu de la législation qui lui est applicable.
Cette définition très large peut entraîner des confusions dans la compréhension des situations individuelles. Elle va conduire à recommander des pratiques institutionnelles et judiciaires adaptées au développement de la maturité de l’enfant ; ceci dès l’article 12 de la CNUDE.
Art 12 : Les États parties garantissent à l’enfant qui est capable de discernement le droit d’exprimer librement son opinion sur toute question l’intéressant, les opinions de l’enfant étant dûment prises en considération eu égard à son âge et à son degré de maturité.
Le comité UNCRC publie, en 2013, une observation générale n°14 qui précise le droit de l’enfant à ce que son intérêt supérieur soit une considération primordiale (OG 14). Il est énoncé que l’âge de l’enfant ne doit pas faire obstacle à la prise en considération de sa parole.
Le très bas âge de l’enfant ou sa situation de vulnérabilité (handicap, appartenance à un groupe minoritaire, migrant, par exemple) ne le prive pas du droit d’exprimer ses vues ni ne réduit le poids à leur attribuer lors de la détermination de son intérêt supérieur. (OG 14 p.8)
Cependant, le degré de maturité demeure un élément important, avec l’âge.
Toute décision qui ne tient pas compte de l’opinion de l’enfant ou ne lui attribue pas le poids voulu eu égard à son âge et à son degré de maturité ne respecte pas le principe selon lequel l’enfant ou les enfants concernés doivent avoir la possibilité d’influer sur la détermination de leur intérêt supérieur. (OG 14 p.7)
Le temps du développement et de l’adolescence
Le développement, accompagné par l’accroissement des capacités de réflexions et d’expression, est une autre manière de prendre en compte le temps dans les affaires mettant en jeu les droits de l’enfant. L’Observation Générale n°20, publiée en 2016, précise la mise en œuvre des droits de l’enfant pendant l’adolescence. Le comité des experts insiste pour que l’opinion des jeunes soit écoutée dans les affaires qui concernent leur vie de famille et dans les procédures judiciaires.
Les États parties doivent veiller à accorder le poids voulu à l’opinion de l’adolescent à mesure qu’il gagne en capacité de compréhension et en maturité. (OG 20, p.7 n° 22)
Conformément à l’article 12 de la Convention, les États parties devraient prendre des mesures pour garantir aux adolescents le droit d’exprimer leur opinion sur toute question les intéressant, eu égard à leur âge et à leur degré de maturité, et veiller à ce que leur opinion soit dûment prise en considération, par exemple lors de la prise de décisions concernant leur éducation, leur santé, leur sexualité et leur vie de famille et dans les procédures judiciaires ou administratives. (p.7 n° 23)
Cette idée est reprise par le comité des ministres des États membres du Conseil de l’Europe dans sa recommandation 2012/2 sur la participation des enfants et des jeunes. Les ministres précisent que le développement des capacités des enfants et des jeunes doit conduire les adultes à leur permettre d’exercer une influence plus grande sur les affaires les concernant, y compris vis-à-vis de la justice.
Il convient de prendre avant tout en considération la notion de développement des capacités de l’enfant et du jeune. Au fur et à mesure que les capacités des enfants et des jeunes se développent, les adultes devraient les encourager à jouir davantage de leur droit d’exercer une influence sur les affaires les concernant. (p.3)
Le temps comme fréquence et régularité
La fréquence, la régularité, représente une troisième manière de considérer le temps. L’article 9-3 de la CNUDE énonce le droit de l’enfant à maintenir des relations personnelles régulières et des contacts directs avec chaque parent ; il ne s’agit donc pas de contacts occasionnels qui ne permettraient pas le maintien de liens significatifs.
Art 9-3 : 3- Les États parties respectent le droit de l’enfant séparé de ses deux parents ou de l’un d’eux d’entretenir régulièrement des relations personnelles et des contacts directs avec ses deux parents, sauf si cela est contraire à l’intérêt supérieur de l’enfant.
Ces éléments, avec les précédents, sont repris par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, dans son article 24 :
1. Les enfants ont droit à la protection et aux soins nécessaires à leur bien-être. Ils peuvent exprimer leur opinion librement. Celle-ci est prise en considération pour les sujets qui les concernent, en fonction de leur âge et de leur maturité.
2. Dans tous les actes relatifs aux enfants, qu’ils soient accomplis par des autorités publiques ou des institutions privées, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale.
3. Tout enfant a le droit d’entretenir régulièrement des relations personnelles et des contacts directs avec ses deux parents, sauf si cela est contraire à son intérêt.
L’article 25 de la CNUDE énonce le droit à une révision régulière des conditions de placement. L’OG 14 étend ce droit à « toutes autres mesures intéressant l’enfant » et insiste sur la prise en compte de l’évolution des capacités de l’enfant, et donc de l’adolescent.
Dans l’évaluation de l’intérêt supérieur il faut tenir compte du caractère évolutif des capacités de l’enfant. Les décisionnaires doivent donc envisager des mesures pouvant être revues ou ajustées en conséquence plutôt que de prendre des décisions définitives et irréversibles. Pour ce faire, ils devraient non seulement évaluer les besoins physiques, affectifs, éducatifs et autres de l’enfant au moment de la prise de décisions, mais aussi envisager les scénarios possibles de développement de l’enfant et les analyser dans le court terme comme dans le long terme. Dans cette optique, les décisionnaires devraient évaluer la continuité et la stabilité de la situation actuelle et future de l’enfant. (p. 10) Toutes les décisions relatives aux soins, au traitement, au placement et aux autres mesures intéressant l’enfant doivent être réexaminées périodiquement en tenant compte de la perception qu’il a du temps et de l’évolution de ses capacités et de son développement (art. 25). (p. 11)
Les lignes directrices du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe sur une justice adaptée aux enfants (2010) reprennent cette idée de suivi et de révision des décisions judiciaires.
Le cas échéant, les autorités judiciaires devraient envisager la possibilité de prendre des décisions provisoires ou préliminaires qui feront l’objet d’un suivi pendant une certaine période en vue de leur réexamen ultérieur. (point 4, n° 52)
Le temps de la procédure judiciaire
L’OG14 consacre un paragraphe spécifique à la prise en considération de la perception du temps par l’enfant ; ce qui montre l’importance que les experts lui accordent. Cette perception du temps est à mettre en rapport avec la durée des procédures judiciaires dont tout retard est reconnu comme pouvant être préjudiciable pour les enfants et les adolescents.
Les enfants et les adultes n’ont pas la même perception de l’écoulement du temps. Les retards dans le processus de décision ou sa durée excessive sont particulièrement préjudiciables aux enfants − en constante évolution. Il est donc souhaitable d’attribuer un rang de priorité élevé aux procédures et processus qui concernent les enfants ou ont un impact sur eux et de les mener à terme au plus vite. Le moment où la décision intervient doit, autant que possible, correspondre à celui auquel l’enfant estime qu’elle peut lui être bénéfique et les décisions prises doivent être réexaminées à intervalles raisonnables à mesure que l’enfant se développe et que sa capacité d’exprimer ses vues évolue. (p. 11)
Ces retards dans la procédure judiciaire ont des répercussions sur la vie réelle des enfants et sur leur devenir. De nombreux exemples illustrent ces conséquences néfastes résultant de délais déraisonnables dans la prise de décision pour déterminer l’intérêt supérieur de l’enfant.
En cas de déménagement abusif d’un parent, l’allongement de la prise de décision crée un état de fait sur lequel les juges ont du mal à revenir. La séparation d’une fratrie, quand bien même la durée de cette séparation résulte des retards de la justice, peut devenir « le cadre de vie ordinaire de l’enfant » dont il faudrait préserver le besoin de stabilité. L’inscription dans un établissement scolaire, abusif de la part d’un parent ou empêché en cas de désaccord, devient irréversible si la procédure tarde.
Cette obligation d’agir promptement est reprise dans La Convention européenne sur l’exercice des droits des enfants (art. 7).
Des ambitions reconnues et partagées
Les textes internationaux et européens se rejoignent donc pour prendre en compte le temps de l’enfant lors de l’évaluation et de la détermination de son intérêt supérieur. Selon 4 formes :
– l’âge de l’enfant qui ne doit cependant pas faire obstacle à la prise en compte de son expression.
– le développement et notamment le moment de l’adolescence, qui implique une plus grande écoute encore de la parole du jeune.
– la fréquence, la régularité, à la fois dans les contacts avec les adultes qui sont en responsabilité du soin à l’enfant et dans la révision des décisions de justice afin de tenir compte de l’évolution de la maturité et du développement de l’enfant.
– la rapidité pour prendre des décisions de justice, car une durée excessive peut être préjudiciable au regard de l’évolution constante des besoins et des capacités des enfants et des jeunes.
Ces ambitions sont partagées mais qu’en est-il dans leur mise en œuvre dans chaque pays ? C’est ce qui sera discuté lors des journées de Nantes. Inscrivez-vous !
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