Mieux respecter les droits et besoins de l’enfant et de l’adolescent, dans les cas de séparation parentale ou de placement, est une préoccupation sociétale. Cette préoccupation devrait se traduire par une justice adaptée, une évolution forte de la justice familiale et de la justice des enfants. Renforcer et respecter les droits des enfants – notamment ceux qui sont séparés de leurs parents, en raison de la rupture du couple parental ou d’un placement – devrait prendre une place importante dans les débats nationaux actuels.
Nous proposons quelques pistes de réflexion qui pourraient s’inscrire dans les préoccupations des élections présidentielles et législatives qui s’annoncent.
Nous commençons par dresser un état des lieux de la question de la séparation parentale. La semaine prochaine, nous ferons des propositions de mesures d’adaptation de la justice familiale.
Environ un enfant sur trois a des parents séparés
Le nombre de ruptures de PACS et de divorces est important. Il se monte à environ 220 000 par an, soit près de la moitié du nombre de mariages et de PACS enregistrés en une année. Ajouté à celui des séparations, non renseigné dans les statistiques, ces ruptures de couples font qu’une part importante des enfants (environ 30%) vit avec des parents séparés (INSEE).
Quatre millions d’enfants mineurs vivent donc avec des parents séparés. Une part très importante réside majoritairement ou exclusivement chez un seul de leurs parents, le plus souvent leur mère (86 %) (INSEE, 2021).
Ce phénomène de société concerne ainsi de très nombreuses personnes : les parents et les enfants, leurs proches dans la famille élargie et les relations, ainsi que les professionnels de la famille en charge des dossiers.
Le « conflit parental » bloque la prise de décision
Voir un conflit des parents comme source du mal-être des enfants est une tendance actuelle. Cependant, ce conflit n’est jamais défini et des confusions se créent. Peu de différences sont faites entre le désaccord, le recours à la justice, le harcèlement moral, la violence verbale, ou physique, impliquant ou non des enfants. Quoi qu’il en soit, la justice familiale est souvent conduite à engager les familles séparées dans des dispositifs relevant de la protection de l’enfance (mesures d’investigation, AEMO, placements), avec l’idée de protéger l’enfant des dangers causés par le conflit parental. Une confusion entre le conflit comme désaccord, le litige légal et la violence domestique s’installe petit à petit dans l’esprit du public et de certains professionnels.
Les parents et leurs enfants, tout comme le monde de la justice familiale (JAF, JE, avocats, travailleurs sociaux) se trouvent alors pris entre deux fonctionnements qui tendent à s’annuler et ralentissent les prises de décision. D’un côté, les JAF pratiquent par instance – sur une seule audience – et sans que l’opinion de l’enfant soit toujours prise en compte. De l’autre, les JE pratiquent sur dossier – en pouvant suivre un cas – et les enfants sont parties dans le processus. Cette situation, issue de l’histoire de la République, ne facilite pas le travail des juges, notamment en termes de coordination des actions et de cohérence des décisions.
L’opinion des enfants effacée au profit de solutions genrées
Au cours de ces séparations de couples, mariés ou non, l’opinion des enfants et adolescents est mal prise en compte. Pourtant, il s’agit d’organiser leur vie et leur mode de résidence après cette rupture. Les familles se recomposent et, ici encore, les relations des enfants avec leurs beaux-parents et leurs demi-frères et sœurs sont oubliées. Mieux considérer la famille élargie, dans la loi et les pratiques de la justice familiale, pourrait contribuer à réconcilier ces parents et leurs proches avec l’État et la Justice.
Les solutions fondées sur une répartition ancienne des tâches domestiques sont souvent privilégiées. La mère devient garante des tâches usuelles de soin et d’éducation des enfants, sauf pour les actes importants. Le père devient celui qui contribue à financer ces tâches et qui n’est pleinement en charge que de quelques moments plutôt tournés vers les loisirs (un week-end sur deux et la moitié des vacances). Ce choix, qui peut venir des parents, des avocat.e.s, comme de la décision des juges, augmente dramatiquement la répartition genrée des responsabilités de soin et d’éducation des enfants.
La PPL 308 Droits de l’enfant, déposée au Sénat le 16 décembre dernier, par Mme Élisabeth DOINEAU, rapporteure générale de la commission des affaires sociales, développe ces idées de manière très intéressante. L’exposé des motifs indique :
« Ce constat pourrait corroborer la vision, dénoncée par certains, d’une justice « sexiste » dont le réflexe serait d’attribuer, en cas de conflit, par automatisme ou conviction, la garde des enfants aux mères, en considérant que l’attachement maternel doit forcément être prioritaire au détriment des liens paternels.«
Exposé des motifs, PPL 308 (2021-2022), Sénat
Cette répartition genrée produit des dégâts sociétaux. Elle conduit les mères à devenir cheffes de familles monoparentales avec des difficultés évidentes (économiques, sociales et professionnelles). Cependant, cette dénomination, issue de la catégorisation démographique de l’INSEE, est trompeuse puisque, dans la plupart des cas, il y a encore deux parents qui sont, de droit, parties prenantes dans la vie de l’enfant et qui partagent l’autorité parentale. Cette répartition et les difficultés qu’elle implique génèrent des troubles chez de nombreux enfants, à la fois sur les plans de la scolarité, de la santé physique ou psychique, du bien-être et du développement en général.
La coparentalité est une avancée sociétale, soutenue par la loi de 2002, mais elle est remise en cause par cette répartition genrée des responsabilités parentales lors des séparations.
La justice familiale fonctionne mal
Cette situation doit participer de la perte de confiance en la Justice. De plus en plus de parents ont affaire à la justice dans leur vie privée, donc à la justice familiale, dont on sait qu’elle est surtout mobilisée par les questions de divorce et de résidence des enfants. La mise en évidence des dysfonctionnements de la Justice se répercute alors dans l’entourage proche de ces parents, participant ainsi à un sentiment de défiance générale identifié par l’enquête pour le Sénat.
La PPL 308 Droits de l’enfant, déposée au Sénat le 16 décembre 2021, développe cette idée en mettant en évidence les disparités dans les décisions d’un tribunal à l’autre, voire entre juges d’un même tribunal. L’exposé des motifs indique :
« Certains JAF sont plutôt favorables au principe de la résidence alternée, tandis que d’autres y sont opposés, ce qui nourrit chez les justiciables la crainte légitime d’un aléa judiciaire, non seulement en fonction du tribunal saisi mais également du juge qui rendra la décision.
Une modification de la loi française permettrait donc d’unifier la jurisprudence et de réduire ainsi cet aléa, contraire au principe d’égalité devant la loi. Chacun a en effet le droit d’être jugé de la même façon, quel que soit le tribunal saisi.«
Exposé des motifs, PPL 308 (2021-2022), Sénat
Les délais de la justice familiale sont au-delà du raisonnable
Les données du ministère de la Justice mettent en évidence des délais qui ne sont pas raisonnables dans les prises de décision. Les statistiques indiquent, pour 2020, un délai moyen de plus de 2 ans (28 mois) pour les procédures de rupture d’union prononcées par le JAF et donc de décision concernant la résidence de l’enfant. Lorsqu’il y a consentement mutuel le délai reste important (16 mois). Ces délais étaient semblables en 2018 et 2019, juste avant la crise sanitaire. Ils étaient d’un peu plus d’un an en 2016 (13,7 mois).
En 2020, en cas de saisine après le divorce lui-même, il faut plus de 8 mois, en moyenne, pour établir la résidence de l’enfant ou modifier les droits de visite des parents ; concernant ceux des grands-parents ou autres personnes, il faut attendre près de 18 mois.
En cas de recours, statuer sur l’autorité parentale nécessite 13 mois ; soit 21 mois après la première saisine. Ces délais ne sont pas dus à une augmentation du nombre de demandes relatives aux enfants mineurs après séparation des parents puisque celles-ci sont en baisse de 13 % entre 2016 et 2020, ainsi que le nombre de recours à la justice en cas de séparation.
De tels délais sont contraire à la Convention européenne sur l’exercice des droits des enfants signée par la France en 2007. Son article 7 constitue une obligation d’agir promptement et énonce :
Dans les procédures intéressant un enfant, l’autorité judiciaire doit agir promptement pour éviter tout retard inutile. Des procédures assurant une exécution rapide de ses décisions doivent y concourir.
Convention européenne sur l’exercice du droit des enfants (1996)
Les personnels de la Justice sont concernés par cette dégradation de leurs conditions de fonctionnement. Ils le manifestent et le proclament dans la presse et les médias.
Cette situation n’est pas inéluctable et des solutions existent
Nous proposerons des mesures concrètes la semaine prochaine.
Si ce travail commun de réflexion vous intéresse, nous vous invitons à nous rejoindre en adhérant pour 2022 !
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