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Enfants en danger et médiation familiale

Enfants en danger et médiation familiale
Caroline Siffrein-Blanc, MCF HDR en droit privé

Envisagée comme un outil complémentaire des mesures d’assistance lorsque le conflit entre les parents est l’une des causes de la mise en danger de l’enfant (Groupe d’appui la protection de l’enfance, « Médiation famille et la protection de l’enfance », 2013), la médiation familiale intègre enfin le code civil en protection de l’enfance avec la loi n°2022-140 du 7 février 2022 relative à la protection des enfants et la création de l’article 375-4-1 du code civil). Si en pratique, les services éducatifs n’avaient pas attendu le législateur pour orienter la famille vers un dispositif de médiation familiale lorsque les parents y étaient favorables, la nouveauté est d’en faire un outil judiciaire entre les mains du juge des enfants qu’il peut désormais inscrire dans sa décision judiciaire.

Pour mettre en place ce nouvel outil, le Gouvernement a précisé le dispositif mis à disposition des juges des enfants en créant un article 1189-1 dans le Code de procédure civile (Décret n° 2023-914 du 2 octobre 2023 portant diverses dispositions en matière d’assistance éducative), lui-même précisé par la Circulaire du 8 janvier 2024 relative au décret n° 2023-914 du 2 octobre 2023 portant diverses dispositions en matière d’assistance éducative.

La médiation familiale devant le juge des enfants suit ainsi les règles communes de la médiation familiale devant le juge aux affaires familiales, relevant elle-même de la médiation judiciaire de droit commun (art. 131-1 à 131-15 du Code de procédure civile, CPC), tout en bénéficiant de règles spécifiques. Les textes précisent ainsi l’objet de la médiation familiale, les conditions et modalités de mise en œuvre de la médiation familiale en protection de l’enfance ainsi que les conditions d’homologation de l’accord issu de cette médiation.

I. L’objet de la médiation en assistance éducative

La définition officielle de la médiation familiale a été adoptée par le Conseil national consultatif de la médiation familiale en 2002 : « La médiation familiale est un processus de construction ou de reconstruction du lien familial axé sur l’autonomie et la responsabilité des personnes concernées par des situations de rupture ou de séparation dans lequel un tiers impartial, indépendant, qualifié et sans pouvoir de décision, le médiateur familial, favorise, à travers l’organisation d’entretiens confidentiels, leur communication, la gestion de leur conflit dans le domaine familial entendu dans sa diversité et dans son évolution ».

Dans le champ de la protection de l’enfance, le décret créant l’article 1189-1 du CPC, semble resserrer l’objet de la médiation familiale autour de l’objectif de protection de l’enfant. Selon le texte, la médiation familiale en protection de l’enfance a pour objet « d’aider les parents à mettre fin à leur conflit concourant à la situation de danger pour l’enfant ». Ainsi, il ne s’agit pas seulement d’accompagner les parents à réguler par eux-mêmes leurs situations conflictuelles, mais bien à chercher à y mettre fin, pour écarter le danger encouru par l’enfant.

II. Les conditions de la médiation en assistance éducative

Tout d’abord, la médiation ne peut constituer une mesure autonome. Le juge des enfants doit obligatoirement l’accompagner d’une autre mesures d’assistance éducative prévues par les articles 375-2 à 375-4 (AEMO, ou AEMO renforcée, ou placement).

En revanche, à la différence des autres outils, la médiation familiale ne peut être imposée aux parents. Elle demeure un processus volontaire y compris dans le champ de la protection de l’enfance. Lors de l’audience, l’accord exprès des parents doit être recueilli pour qu’elle puisse être ordonnée.

Enfin, à la question, quelle place accorde-t-on à la médiation dans un contexte de violences familiales, le législateur y répond « sans ambiguïté « aucune ». Comme pour la médiation familiale devant le JAF, le juge des enfants ne peut ordonner de médiation familiale si des violences sur l’autre parent ou sur l’enfant sont alléguées par l’un des parents » ou en cas « d’emprise manifeste de l’un des parents sur l’autre parent ». Sous l’influence de la Convention d’Istanbul (art. 48), le législateur a donc poursuivi, de façon nette, l’interdiction absolue de la médiation judiciaire dans le cadre des violences familiales.

III. Modalités de la mise en œuvre de la médiation en assistance éducative

La médiation familiale, qu’elle soit devant le JAF ou le JE, obéit aux règles communes de la médiation judiciaire.

  • La durée de la médiation ne peut excéder trois mois et peut être renouvelée une fois pour la même durée à la demande du médiateur (art. 131-3 du CPC)
  • La décision ordonnant la médiation mentionne obligatoirement notamment l’accord des parties, le médiateur, la durée initiale de la mission, la prise en charge financière (provision, rémunération) (art. 131-16 CPC)
  • Le médiateur peut, avec l’accord des parties et pour les besoins de la médiation, entendre les tiers qui y consentent. (art. 131-8 du CPC)
  • La décision d’ordonner ou de renouveler est une mesure d’administration judiciaire (art. 131-15 CPC), donc insusceptible de recours.
  • Les constatations du médiateur et les déclarations qu’il recueille ne peuvent être ni produites ni invoquées dans la suite de la procédure sans l’accord des parties, (art. 131-14 CPC). Eu égard au respect de la confidentialité, aucun rapport éducatif ne peut être établi à l’issu de la médiation.

En sus de ces règles, l’article 1189-1 du CPC apporte des règles spécifiques de grande importance lorsque la médiation familiale se déroule dans le cadre de la protection de l’enfance.

Désignation d’un médiateur qualifié. La première spécificité concerne les qualités exigées du tiers médiateur. Selon l’article 1189-1 du CPC « Le médiateur familial désigné par le juge doit être titulaire du diplôme d’État mentionné à l’article R. 451-66 du code de l’action sociale et des familles ou, à défaut, justifier d’une formation à la pratique de la médiation relative au conflit parental emportant danger pour l’enfant. ».

Pour la première fois, sont exigées des compétences spécifiques pour exercer une médiation familiale : soit le diplôme d’État soit une formation spécifique. Sur ce dernier point la circulaire laisse une marge d’appréciation au conseiller de la cour d’appel coordonnateur en matière de médiation lors de l’instruction de la demande d’inscription sur la liste et, in fine, à l’assemblée générale des magistrats de la cour d’appel qui dresse la liste des médiateurs quant à la compétence du médiateur pour intervenir dans un contexte de danger pour l’enfant (Circ. 8 janvier 2024, p. 6).

Cette précision est essentielle et reconnaissant l’exigence d’un professionnel qualifié pour traiter du contentieux familial sévère. Toutefois, il est fort regrettable qu’en matière de médiation familiale devant le JAF une telle exigence ne soit pas imposée pour s’inscrire sur la liste des médiateurs familiaux auprès des cours d’appel.

Alors que les cours d’appel vont devoir spécifier au sein de la liste des médiateurs familiaux, ceux qui disposent d’une formation requise dans le cadre de la protection de l’enfance, espérons que cette liste servira également dans le cadre de la médiation familiale devant le JAF.

Participation de l’enfant en médiation. En droit commun de la médiation, le médiateur peut, pour les besoins de la médiation et avec l’accord des personnes, entendre un tiers qui y consent. Général, le texte peut être utilisé notamment pour entendre l’enfant. Les pratiques en médiation familiale sont très disparates à ce sujet.

En matière de protection de l’enfance, l’article 1189-1 du CPC prévoit spécifiquement qu’« en accord avec les parents » le médiateur peut « entendre l’enfant qui y consent, sous réserve du respect de l’intérêt de celui-ci ».

S’il faut se réjouir de cette précision, en ce qu’elle renforce les droits participatifs de l’enfant dans le processus amiable, il est une nouvelle fois regrettable que cette précision ait été réservée à la médiation familiale en assistance éducative

Espérons là encore que les médiateurs familiaux usent du droit commun pour associer l’enfant dans le processus amiable lorsqu’il en va de son intérêt.

IV. L’homologation de l’accord issu de la médiation

En droit commun l’article 131-12 du CPC prévoit qu’à tout moment, les parties, ou la plus diligente d’entre elles, peuvent soumettre à l’homologation du juge l’accord issu de la médiation.

En matière d’assistance éducative, l’article 1189-1 prévoit que « par dérogation à l’article 131-12, l’accord issu de la médiation peut être homologué par le juge aux affaires familiales saisi par les parents en application de l’article 373-2-7 du code civil ».

Si l’objet de la médiation initialement précisé est d’assurer la restauration du dialogue entre les parents, il n’est pas exclu qu’elle conduise in fine à trouver des terrains d’entente en matière d’autorité parentale (fixation de la résidence, modalités des droits de visite …). En pareil situation, le texte prévoit que les parents peuvent saisir, non le juge des enfants, mais le JAF afin de faire homologuer leur accord.

Les dispositions de droit commun servent ensuite de socle lorsque les deux juges sont saisis d’une même affaire. Lorsque le JAF homologue une convention, il se doit de vérifier que la convention préserve suffisamment l’intérêt de l’enfant et que le consentement a été donné librement (art. 373-2-7 du code civil). Il doit également avoir vérifié l’ouverture d’une procédure d’assistance éducative (art. 1072-1 du CPC) et peut dans ce cas demander au JE de lui transmettre copie des pièces du dossier en cours (art. 1072-1), selon les modalités définies à l’article 1187-1. Il transmet ensuite copie de sa décision au juge des enfants (art. 1187-1 du CPC).

La circulaire ne précise pas en revanche les effets de cette homologation sur la mesure d’assistance éducative. Toutefois, le principe est que la mesure d’assistance éducative prime la décision du juge aux affaires familiales qui ne peut l’écarter (A. Gouttenoire, et Ph. Bonfils, Droit des mineurs, Dalloz, n°1016 ; Cass. 1ère civ., 11 juillet 2006, n° 05-05.007) et reste suspendue jusqu’à l’issue de la mesure d’assistance éducative.

Si ces dispositions doivent être saluées, leur attachement spécifique au champ de la protection de l’enfance interroge. En effet, la médiation familiale, qu’elle soit devant le JE ou devant le JAF pourrait faire plus de place à la participation active de l’enfant au processus mais surtout exige un professionnel qualifié si possible en titre du diplôme d’Etat.

Textes de références